jeudi 12 avril 2012

Clair, vivant et précis



"Sans l'effort obstiné de chacun pour s'approprier réellement sa langue maternelle (autrement dit, pour devenir le véritable sujet de son propre discours), nous serions (...) condamnés, estimait Orwell, à subir la loi des mots existants, c'est à dire, en dernière instance, à demeurer prisonniers du langage préfabriqué de l'idéologie dominante (qu'il prenne la forme du jargon des économistes ou celle de de ce "langage des cités" qui fascine tellement la bourgeoisie universitaire moderne). La "novlangue" (...) ne constitue, de ce point de vue, que le passage à la limite d'une situation qui existe déjà : l'idéal, en somme, d'une langue intégralement idéologique (ou "politiquement correcte") dont la syntaxe et le lexique obligeraient en permanence ses locuteurs à s'absenter d'eux-mêmes ("les bruits appropriés qui sortent du larynx" mais sans passer par le cerveau) et qui rendrait ainsi inutile l'existence même d'une police de la pensée. C'est pourquoi le simple souci d'enrichir son vocabulaire et de parler une langue claire, vivante et précise constituait déjà, pour Orwell, un acte de résistance politique quotidienne."

Jean-Claude Michéa, Le complexe d'Orphée, Climats, 2011, p. 223